»Fermeture pour cause de match »
L’affiche était placardée partout, aux devantures des magasins, à la lourde porte de la poste, à celles de la mairie, de l’école et même à celle du cabinet du docteur L.
Monsieur B, le directeur de l’école, passait la veille dans chaque classe, tenant dans son dos la baguette en bambou dont on armait à l’époque chaque maître et chaque maîtresse afin de faire régner un ordre que bien peu d’écoliers d’alors auraient eu l’idée de perturber.
Le béret basque imperturbablement vissé sur un crâne dont la tonsure toute monacale aurait fait injure à l’école publique, monsieur B annonçait le jour de congé, le jeudi en bonus que tous les élèves attendaient.
« Il n’y aura pas classe demain, pourrr cause de rrrugueby! » clamait-il sans quitter son air sévère mais en roulant les « r », forçant d’autant plus son accent du sud-ouest qu’il était le premier réjoui de l’évènement.
Dans le village, les ménagères se pressaient pour les dernières courses, les files d’attentes s’allongeaient devant la boulangerie et la boucherie.
Louise accueillit la nouvelle de façon assez mitigée, certes un jour sans école était une bonne nouvelle, mais une longue journée d’ennui s’annonçait. Les garçons resteraient enfermés avec les hommes devant le petit écran, les uns au café du coin dont la télé avait fidélisé les clients, les autres, chez des connaissances qui avaient la chance d’en posséder une, son père filerait chez le pharmacien, quant à son grand-père, pourtant fidèle compagnon des jours de solitude, ces jours-là, il disparaissait tout bonnement et nul n’aurait su dire où il se trouvait. Mais les filles, où étaient les filles? Le mystère restait entier et Louise n’était pas loin de penser que même les filles obéissaient à cette injonction qui la dépassait: regarder courir de gros balourds derrière un ballon dont la forme improbable la faisait douter de la santé mentale des amateurs de rrugueby.
Ces jours là, Jeanne en profitait pour filer chez madame Lasserre, qui tenait l’unique épicerie de la bourgade. Elle aimait bien madame Lasserre qui était une personne de bon sens et de sérieux, non dénuée d’humour ce qui était rare dans ce bled perdu où l’on passait plus de temps au labeur qu’à la rigolade. C’était l’unique occasion où elles pouvaient se retrouver tout un après-midi sans être interrompues par monsieur Lasserre qui lui n’en fichait pas une mais surveillait sa femme en apparaissant de temps en temps au fond de la boutique, le regard lourd de reproches, raide et soupçonneux dans son éternelle blouse grise.
A chaque apparition du cerbère, madame Lasserre faisait mine de poursuivre une activité jamais interrompue, se faufilant entre les sacs de jutes rebondis de haricots secs, de lentilles ou de patates posés à même le sol. Il n’y avait aucun étalage, tout était disposé dans des cageots en châtaignier, carottes et navets sortis bruts du sol avec leurs fanes et encore tout crottés de terre, salades diverses, poireaux chevelus qui ne connaissant pas encore les pesticides étaient creusés de sillons par les vers dont Louise suivait le cheminement sinueux avec intérêt, oignons colorés, etc. Rien de bien appétant pour une gamine qui passait le plus clair de son temps accroupie sur un parquet si souvent lavé qu’il ne séchait plus, à dessiner du doigt des paysages fantastiques dans la sciure qui le saupoudrait, lesquels déclenchaient les compliments extasiés de l’épicière. Celle-ci n’avait pas eu d’enfants « parce qu’IL n’en voulait pas », aussi sa blouse de travail d’un blanc clinique était-elle restée plate, comme son corps dépourvu de formes.
Louise s’amusait à peser des pommes sur la curieuse balance Roberval avec ses plateaux cuivrés, équilibrait au plus juste les poids, rien que pour le plaisir de manipuler les plus petits qu’elle affectionnait. L’autre balance, la sérieuse Testut, trônait sur le comptoir, insolente de modernité au milieu des boîtes de sel, de sucre, de cacao et de café. Enfin de l’arrière-boutique où personne n’était autorisé à entrer, madame Lasserre ressortait avec des tranches de jambon coupées au couteau et de petits paquets de beurre presque blancs prélevés à la motte.
Sur une petite étagère, un présentoir hérissé de sucettes Pierrot Gourmand mettait une petite note de plaisir dans ce décor de stricte première nécessité. Pour la fantaisie, il fallait faire 25 km jusqu’à la grande ville et comme Jeanne n’avait pas de voiture, la boutique de madame Lasserre était malgré tout à ses yeux la caverne d’Ali Baba. La commerçante offrait toujours une sucette à Louise qui avait même eu droit à deux le jour où elle avait récolté un gnon à l’école pour avoir affiché la cocarde de l’équipe de rugueby adverse dont les couleurs s’harmonisaient mieux avec celle de son gilet, coquetterie qu’un amateur de ballon difforme ne pouvait évidemment pas comprendre.
A la fin de la journée, Jeanne et Louise rentraient, seules, cheminant au bord de la nationale déserte et silencieuse.
Mais oui, ça va très bien aussi comme ça.
J’ai déjeuné et passé tout l’après-midi chez des amis, avec mon mari. Ben tu vois, causer, philosopher et dire des conneries, ça fatigue aussi. Je vais me coucher. La première fois que j’y vais si tôt……
Pfff c’est beau d’être jeune! Je ne vais pas tarder non plus parce que j’ai un bon livre et que la lecture c’est de préférence au calme et dans le confort de la couette. Bonne nuit Michèle.
J’ai beaucoup aimé ton histoire, qui se lit avec grand plaisir. En parallèle, j’ai cette étrange impression : le petit groupe dans lequel nous nous inter-lisons (Salgrenn, Simonu, Dominique par exemple) non seulement partage une certaine nostalgie, un genre de « mémoire » dont on sent qu’elle est en train de disparaître, et de ce fait nous unit quelque part dans nos imaginaires revisités. C’est peut-être idiot de ma part de penser ça (mais mon idiotie est atavique).
J’ai aussi un souvenir qui me revient à la lecture de ton texte, c’est mémé Philomène, qui nous vendait des bonbons (mis en bocaux) à la sortie de l’école. La vieille avait en permanence la goutte au nez et quand elle le plongeait pour saisir les friandises la morve commençait à descendre. Nous étions complètement paniqués, et soudain elle reniflait, tout en repéchant les réglisses, les têtes de nègre,, les berlingots de Cauterêts, les chamallows et les doigts de pied de ses nombreux petits arrière-enfants (bon OK je blague) nous respirions tous, sauf que deux ou trois d’entre nous subtilisaient habilement une dizaine de carambars dans les présentoirs de la vitrine pendant que mémé Philomène pesait nos bonbons (pas de Fred Testot-Testut ni de télé à cette époque), mais on jouait au fouteballe dans les prés où paissaient les vaches…
Pardon pour ce long commentaire ! 🙄
Non au contraire, c’est bien si une histoire peut en évoquer une autre. La goutte au nez de mémé Philomène m’a fait frémir 😉
Bon, le petit groupe dont tu parles, un peu nostalgique d’un temps qu’on ne reverra plus, ben… ça veut bien dire qu’on n’est plus tout jeunes, sauf dans la tête naturellement. Ca doit être ce qu’on appelle retourner en enfance 😉
Je ne pense pas qu’il y ait un retour en enfance, mais certainement une route, un cheminement suivi depuis l’enfance. C’est un peu/beaucoup différent . Bon, sur ce, je sais que tu as perdu une heure, donc je te laisse la rattraper tranquillement et me tais..
Attendez je vais revenir, je suis un peu occupée là, (jusqu’à jeudi), mais j’ai des trucs à dire ! Un texte comme je les aime Alma ! @ + !!!!
Bon jour,
« … la baguette en bambou… » on ne rigolait pas à l’époque… 🙂
Bonne journée
Max-Louis
Ca fait très mal sur le bout des doigts, mais la plupart du temps, le bruit de la baguette contre un bureau suffisait à calmer tout les monde.
Mes doigts s’en souviennent… 😦
Honteuse qu’une réponse à un mail se retrouve dans les commentaires. Pardon de mon étourderie Alma….
Autre histoire : l’épicière du village de Barberey n’avait pas la goutte au nez. Mais elle avait de la moustache, ce qui faisait rire mes parents en privé. Pendant la guerre, ma famille et celle de l’épicière partagions l’élevage d’un cochon. Une semaine sur deux, nous nourrissions le cochon, l’autre semaine, c’était le tour de l’épicière. Le cochon scella donc une certaine amitié entre nos deux familles, ce qui déboucha sur une invitation de l’épicière et les siens à venir prendre l’apéro chez nous. Et moi, gamine encore, je fis la bise à Mauricette. Voulant faire mon intéressante, je commentai ainsi : Ben dis donc, Mauricette, qu’est-ce que tu piques! Personne ne savait plus où se mettre, chacun regardant le bout de ses chaussures. Mauricette encaissa. On noya l’affaire dans un Dubonnet (un doigt, pour les dames), un Pernod pour les Messieurs. Mais moi, Je me doutais confusément de ce qui allait m’être servi un peu plus tard : une bonne dérouillée dont je me souviens encore.
Pas de souci. Une dérouillée pour un mot d’enfant, heureusement que l’éducation a évolué, aujourd’hui cela ferait sourire et la personne le prendrait avec humour.
Je me disais en te lisant que les témoignages de cette vie passée, avec ses coutumes et ses évènements précis que chacun et chacune a partagé à la même époque, dans des géographies différentes, ce sont des témoignages de l’histoire sociale, au même titre (et sans doute plus intensément) que ce que font les ethnologues et les sociologues. Tu vois comme dans chacun de tes textes les gens se reconnaissent, et le point névralgique de la reconnaissance universelle c’est la sucette Pierrot gourmand.
Absolument, la sucette Pierrot Gourmand est l’étendard (un peu fané) des boomers 😉
Tout cela ne nous rajeunit pas ma p’tite dame, encore que toi tu es encore jeune. Merci Caro
J’aime beaucoup ce récit que me renvoie dans la petite épicerie de ma tante Kikine et bien que par ici le rugby n’était pas pratiqué à l’époque d’autres analogies, dont la télé chez les voisins, me ramènent à une certaine douceur de vivre. Celle sublimée de notre enfance ??? Merci Almanito !
On dit qu’on embellit toujours ses souvenirs et que ce que l’on regrette, ce n’est pas la vie d’autrefois mais sa jeunesse, pourtant je reste persuadée que nous étions plus heureux que les jeunes d’aujourd’hui, même si rien n’était facile…
Je le crois aussi… Nous nous contentions du nécessaire, le plus souvent, nous rêvions du superflu sans en être jaloux. Aujourd’hui, les tentations sont plus grandes, plus présentes partout, les jalousies et les frustrations aussi. 😦
Je me souviens que j’allais voir les matchs chez un pote, son père coupait le son de la télé et faisait les commentaires lui même ! :))
texte très nostalgique et très agréable !
Au moins coupait-il le son parce qu’il y a aussi ceux qui commentent en même temps que le commentateur et qui hurlent comme au stade depuis leur canapé 😉
Joli moment fort bien décrit. 🙂
Et un petit bond dans le passé, c’est sympa, ça fait resurgir quelques souvenirs sur ces épiceries où toutes sortes d’objets hétéroclites se mêlaient à l’alimentaire. Après l’école, on s’y arrêtait parfois pour acheter un carambar.
Les carambars chez nous étaient interdits, trop récents peut-être et considérés comme exotiques par ma mère, j’avais plus de 20 ans lorsque j’ai mangé le premier 😉
Merci Laurence.
Le genre de récit dans lequel j’aime me plonger. Il me manque le petit accent pittoresque… car j’imagine qu’il devait être bien présent à l’époque. Bon week-end de Pâques Alma.
J’ai essayé mais c’est compliqué de rouler les « r » par écrit 😉 oui, un langage terriblement rocailleux et tonique qui a dû s’estomper j’imagine. Bonne fêtes de Pâques Elsaxelle.
Je n’ai rien dit de ton récit… et pourtant, il est magnifiquement raconté. Merci !
Merci à toi Quichottine 🙂
Oh! que j’aime retrouver Louise et plonger dans ses souvenirs. En effet que faisaient les filles? J’avoue qu’à la pré-adolescente je me suis intéressée au tournoi des 5 nations, mais que finalement je préférai encore grimper dans les arbres… depuis aucun ballon, ni balle, ni une quelconque compétition ne m’a intéressée et je me demande toujours pour quelles obscures raisons certains s’avachissent devant leur télé pour s’énerver devant un arbitrage, (à moins que Souchon ait une réponse: sous les jupes des filles).
Quant au père Lasserre, je l’aurais bien transformé en ballon pas très rond.
Polly, c’est incroyable, je pensais justement à toi en ouvrant mon ordi, me disant que j’allais t’envoyer un petit mot pour prendre de tes nouvelles! J’espère que tout va bien pour toi.
J’ai eu ma période ballon rond mais à l’âge adulte, bah c’était plus parce que j’étais amoureuse d’un fan de foot, mais par la suite j’ai suivi avec passion la coupe du monde, celle où l’on a gagné, tu sais et j’ai vraiment cru à la France black blanc beur pour toujours….
Je suis probablement un peu plus jeune, et dans mon enfance la télé était deja tres répandue, mais j’ai tout de meme connu ces boutiques. Ce qui me frappe, ce n’est pas la nostalgie, c’est la qualité sensorielle de tes récits, et leur équilibre – j’aime !
Merci, mais tu es sans aucun doute beaucoup, beaucoup plus jeune Frog 😉 quant à la nostalgie, je pense que c’est notre jeunesse que nous regrettons, plus qu’une époque où à la campagne, la vie était singulièrement dénuée de fantaisie, il fallait se conformer aux codes et aux coutumes de la vie locale si on voulait un semblant de vie sociale.