Mentalo et Grenadine

‌Pour une fois je me suis lancée, j’ai participé à l’Agenda Ironique dont le sujet était cette fois-ci proposé par Frog. J’arrive après la clôture, aucune importance, c’est que je suis un peu longue à me décider….
Pour voir les consignes (et il y en avait! 😉 ) c’est ici:

https://frogsblog7.wordpress.com/2021/02/02/hydres-et-chimeres-agenda-ironique-de-fevrier/

‌‌Il était une fois..
Non, il était une fois ne convient pas à une histoire vraie qui s’est déroulée il n’y a pas si longtemps, je ferais mieux d’essayer  façon Coluche: « c’est l’histoire d’un mec »…, mais non plus car notre héros n’est pas un homme, même si parfois il peut en prendre l’apparence. Il s’agissait en fait d’un dragon qui vivait au milieu du maquis surplombant de petits villages nichés au creux des vallées.
C’était un beau dragon dont les écailles d’un vert éclatant brillaient au soleil et même sous la pluie, qui lui avaient valu son nom. Il avait pris pour compagne une dame Grenadine dont vous avez déjà deviné la couleur et dont les écailles brillaient tout autant au soleil que sous la pluie.
Un beau jour de printemps dame Grenadine s’en fut à la grand ville afin d’y récupérer dans un magasin de dépôt, les costumes tout neufs qu’elle avait commandés aux 3 Zhelvètes, institution spécialisée dans le prêt à porter distribué par correspondance. Ces costumes étaient destinés au baptême de leur prochain dragonnet. Oh ne vous méprenez pas, il ne s’agissait pas d’un baptême comme vous l’entendez avec curé, dragées, église et immersion dans l’eau bénite, non, pas du tout. Cependant la cérémonie revêtait une grande importance car c’était le moment où le nouveau-né recevait ses pouvoirs.
Car chez les Mentalo, de père en fils depuis la nuit des temps et peut-être même bien avant, ces pouvoirs consistaient à se transformer en humain dès lors que la situation l’exigeait, et à se fondre dans n’importe quel décor en cas de péril, ce qui était bien pratique et avait permis à toute la lignée des Mentalo de traverser les siècles jusqu’à nos jours sans grands tracas. 
Ce jour-là donc, dame Grenadine confia l’oeuf en maturation à son conjoint non sans lui avoir prodigué moult recommandations et fila guillerette pour attraper le car de 8h30.
Mentalo qui avait décidé de profiter de son absence pour aller jouer aux boules avec les gars du village sur la petite place de l’église en fin de matinée, commença par prolonger sa grasse matinée sur sa couche épaisse et confortable   constituée  d’épineux qui lui grattaient  délicieusement les écailles dorsales.
Lorsqu’il s’éveilla, le soleil avait déjà atteint le zénith. Il s’étirait longuement lorsqu’il s’aperçut que l’oeuf qu’il avait délicatement posé sur un tapis de chardons avait disparu. Son coeur fit un bond dans sa poitrine au point de remonter dans la gorge, ce qui, à l’aune de  la longueur d’un oesophage dragonien représente un sacré voyage. Il bondit sur ses pattes et explora les environs, en vain.  Le petit serait-il né sans qu’il s’en aperçoive et aurait-il filé dans les broussailles pour lui faire une blague? (car il faut savoir que les bébés dragons naissent prêts à l’emploi)
La chose lui sembla néanmoins impossible, sinon il aurait trouvé des morceaux de coquilles… Non, se dit-il, il a dû rouler, peut-être aidé par une petite brise. Mentalo descendit dans le ravin puis arriva sur le chemin de terre sinueux qu’empruntaient depuis toujours les bergers avec leurs chèvres ou les paysans du coin.
Il marcha longtemps sur le sentier tout en scrutant minutieusement les talus mais nul oeuf ne se cachait parmi les orchidées sauvages ou dans les bouquets de cystes.
Je vous laisse imaginer son angoisse en pensant au retour de dame Grenadine. La colère de celle-ci, s’il était obligé de lui avouer la disparition du petit. Elle le répudierait certainement et pire rejoindrait son pire ennemi, cet ectoplasme de Paon Léon son ennemi intime qui le poursuivait inlassablement, jamais à court d’un mauvais tour, capable d’imiter sa propre apparence,( car certains humains sont dragons parmi les hommes, le saviez-vous?) et qui faisait les yeux doux à son épouse! …

Pendant ce temps, l’oeuf de notre pauvre Mentalo, se laissait balloter tranquilou entre les pamplemousses et les citrons du muletier, qui était passé sous le ravin juste au moment où la chute de l’oeuf l’emportait vers un fatal destin. (La famille Mentalo, vous le noterez, était bénie des dieux, l’oeuf avait 99% de chance de s’écraser comme une prune trop mure contre une pierre, mais non, les dieux se jouant des statistiques,  avaient placé les paniers du muletier à point nommé)

Arrivé au village, le fils du muletier en déchargeant l’âne (et pas le buffle comme l’aurait souhaité certaine personne car de buffles il n’y a point en ces contrées du sud), trouva l’oeuf. Il n’en n’avait jamais vu de tel: gros et bleu comme un ciel d’été. « Laisse ça de côté lui dit son père, c’est encore de ces jouets en plastique de gamins de riches, c’est pas pour toi. Le gosse  obéit et le lança à tout hasard par-dessus la haie de lentisques. L’oeuf, qui décidément était verni, échoua sur l’édredon de Catalina Bella (chi, chi) qu’elle avait étendu au soleil. Tiens, dit-elle à un garçonnet  qui passait: je te fais un cadeau! L’enfant qui  était un petit toujours un peu rêveur, certains le disaient même un peu fada sur les bords, eut conscience qu’il tenait là un drôle d’objet et décida de le montrer à son grand ami, le Maître de l’Arastaca, poète, philosophe et jardinier.
O Simonu! l’interpela t-il aux abords des fenêtres, Simo! Viens voir un peu!
Simonu, Maître de l’Arastaca (https://simonu.home.blog) étudia l’oeuf durant un long moment, fronça les sourcils et murmura dans sa barbe de vieux sage: ça, petit, c’est un trésor. Pas pour toi, pas pour moi, mais je sais à qui il est. Tu vas me le laisser et je m’occupe de le rapporter à celui pour qui il est un trésor… Tu comprends? Le gosse acquiesça gravement  comprenant seulement qu’il s’agissait d’une affaire sérieuse. Tu reviendras ce soir à la veillée, petit, et je te raconterai l’histoire incroyable de Mentalo et Grenadine, ajouta t-il. 
C’est ainsi que Mentalo retrouva son oeuf, délicatement posé sur son lit de chardons lorsqu’il revint le soir, fourbu et désespéré.
A son grand soulagement, il remarqua que l’immonde graff apposé sur un muret proche qui faisait de ses nuits un cauchemar, avait été effacé…Peut-être par la même main secourable qui avait rapporté l’oeuf, qui sait?

Ca c’est bien passé? demanda dame Grenadine en rentrant, son costume humain fleurant encore les miasmes méphitiques de la grand’ ville.
Impec, baragouina t-il d’un air détaché, rien à signaler.  

42 réflexions au sujet de « Mentalo et Grenadine »

  1. karouge

    J’ai bien aimé ton conte, mais il m’a entraîné bien plus loin, chez Simonu (je me suis abonné), puis vers Frog et j’ai fini chez Tout l’opéra ou presque, sur les rives du Rhin. Il faudrait passer des heures chez les uns et les autres, car tous sont attractifs. Mais il faut aussi faire fonctionner son horloge personnelle sans se faire influencer, raison pour laquelle je limite mes abonnements qui sinon prendraient trop de place…Les œufs de Fabergé ne sont pas mal non plus question imagination et réalisme…
    https://commons.wikimedia.org/wiki/File:House_of_Faberg%C3%A9_-_Gatchina_Palace_Egg_-_Walters_44500_-_Open_View_B.jpg?uselang=fr

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    1. almanito Auteur de l’article

      Heureusement que je n’ai pas pensé à Fabergé, j’ai déjà eu du mal avec cet oeuf et les contes ne sont pas ce que j’ai l’habitude d’écrire (d’ailleurs ce n’est pas un conte, l’histoire est vraie) bref j’ai bien ramé.
      Les blogs de Frog et de Simonu sont deux univers très différents, tu vas aimer les deux 🙂

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  2. Simonu

    Bonjour Al.
    Au fronton de mon blog, si je puis dire, j’avais inscrit : « Par mont et par vaux, ici et maintenant… » mais je ne pensais pas me retrouver un jour, par le plus grand des hasards (?), sur le GR20 des blogueurs. Les dragons mènent à tout, y compris à faire une fleur à un ami qui ne fulmine pas au lance-flammes sur le monde extérieur.
    Vous m’avez rencontré au détour d’un chemin, en scrutateur des choses de la vie, sans barbe désormais ou à barbe intermittente, à observer un œuf. En effet, j’aime bien l’idée, je n’étouffe jamais dans l’œuf, je préfère dérouler le fil de la vie en activant mon imaginaire, souvent, comme revenir sur le réel d’un passé révolu.
    Merci chère Al. d’avoir secoué le prunier afin que quelques drupes chutent dans mon jardin… 😉
    Bon dimanche ensoleillé. 🙂

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    1. almanito Auteur de l’article

      Oui le soleil est bel et bien là ce matin, on a fait le plus dur et vos semis vont prospérer dans le jardin pentu qui ressemble finalement beaucoup à votre blog, gourmand, coloré et plein de vie avec ses pépites de fantaisie et de poésie. J’espère que beaucoup auront le bonheur de le découvrir.

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      1. Simonu

        Habitué à la solitude, je m’accommode bien du silence 🙂 Les semis sont déjà bien avancés, les bouteilles ouvertes et demain, je plante les pommes de terre. C’est parti !

  3. MF

    Un bien plus joli conte que ceux dont on nous rebat les oreilles sous différentes formes tous les jours et qu’on peut résumer ainsi : demain, y aura des vaccins pour tout le monde….

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  4. Chinou

    J’ai failli laisser brûler mon repas; non pas à cause de la longueur du texte (lorsque c’est bien écrit on ne voit pas le temps passer) mais à cause de l’histoire elle même qui m’emportait loin du quotidien.Par le vocabulaire choisi, on sent bien que tu es du sud ; tiens demande à un parisien s’il connait les lentisques, s’il emploie le mot fada etc…Passe un bon dimanche

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  5. Mony

    Mentalo et Grenadine, rien que ces noms m’ont emporté dans ton imaginaire et c’est si bon de découvrir la vie de ces dragons. Merci pour les liens qui eux aussi me mènent vers des univers inattendus. Bon dimanche Almanito !

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  6. Frog

    Quelle adorable histoire vraie ! Je me régale toujours chez toi, Almanito, et je suis trop contente que tu aies participé ! Un dragon au maquis, fallait y penser ! Je vais aller lire Simonu.

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  7. caroleone

    Quand je lis la dernière phrase : rien à signaler ! je sais que c’est vraiment une histoire vraie ! Heureusement que Simonu avait la science nécessaire pour respecter l’oeuf indigène et le remettre à sa place, sinon, ton histoire ne serait pas encore terminée !! J’ai bien aimé la balade dans le maquis même si je me dis qu’il ne faut pas que Mentalo et Grenadine aient trop de scènes de ménage car même si le ciste est un coupe-feu, je me demande s’il résisterait au chalumeau !

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    1. almanito Auteur de l’article

      Ha bon le ciste est un coupe-feu, je ne savais pas, vu le nombre que j’ai vus brûler mais peut-être qu’ils le retardent… Bon ne parlons pas de feu dans le maquis, Mentalo et Grenadine s’engueulent un peu comme tout le monde mais pas à ce point 😉

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  8. gibulène

    Deux personnages sympa à rajouter à notre univers ironique ! et tellement d’humour ! j’adore l’idée de consulter le catalogue des Trois zhelvètes :-D……. quant à Simonu, déjà abonnée, mais ça tu le sais aussi. J’espère qu’on aura un faire-part de naissance à l’éclosion 😉

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  9. emma

    grâce à toi un sacré coup de jeune souffle sur le conte traditionnel, sans les sucreries des histoires pour enfants, c’est un vrai plaisir de lecture – ainsi que de faire la connaissance avec tes voisins de l’ile de beauté, réels ou presque, comme paon Léon et Catalina Bella (chi, chi), bravo, dame Alma, maintenant que tu tiens la forme, remets en une louche, STP

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  10. Ping : Dragon : les résultats (agenda ironique) – In the Writing Garden

  11. In the Mirror

    Je ne regarderais plus un oeuf de la même façon. Qui sait, si je n’ai pas un Mentalo et une dame Grenadine dans mes bois.
    Joli conte Alma, j’imagine le petit écoutant l’histoire, les yeux écarquillés 🙂

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