« Street view ».
Le coeur de Louise s’accéléra soudain. Elle avait suivi, centimètre par centimètre, les ruelles du vieux village, traversé le pont et pris la petite côte, juste comme lorsqu’elle rentrait de l’école, autrefois. C’était si simple. Rien n’avait changé, sauf le nom de la route, c’était pour cela bien sûr qu’elle avait eu du mal à retrouver son chemin.
« Mais que sont-ils allés chercher?!… « route des adrets »!…un endroit tout plat…. «
Quoiqu’en y réfléchissant, murmura t-elle entre ses dents, c’est pas si bête… s’il ne s’agit pas d’adrets et d’ubac comme on l’entend habituellement, c’est qu’ils ont remis au goût du jour un terme occitan. « Ad dret » = en ligne droite. Et en effet, le vieux nom ressorti par dieu sait quel amoureux de l’histoire, désignait on ne peut mieux cette route longue et plate, menant directement à la mer. Pas mal, conclut-elle, ravie de sa trouvaille, contente de penser que les troubadours avaient encore leur place et leur mot à dire dans ce monde moderne qui la déconcertait et l’attristait parfois.
Les vieux rails coupaient toujours la chaussée, bordés sur le sentier qui les longeait par les églantiers touffus.
Louise s’écarta un peu de l’ordi et respira d’aise en fermant les yeux. Elle y engageait volontiers son vélo, bien que cela soit interdit, pour sentir les herbes sauvages et se perdre dans l’enchevêtrement des fragiles flocons roses poudrés de pollen, sachant que nul bouton ne tiendrait jusqu’à la maison, que le bonheur résidait dans l’instant…
« Dommage, Google ne s’égare pas sur les sentiers des souvenirs » . Elle repris sa route, minutieusement, saluant chaque talus, chaque habitation connue et reconnue, chaque bosquet, s’agaçant de découvrir, de- ci de- là, quelques potagers sacrifiés au luxe d’une piscine, dans ce pays aride, … la maman de Philippe…qui s’était tant courbée et cassé le dos sur son mauvais lopin, tant et si bien qu’elle l’avait débarrassé d’une caillasse inépuisable pour en faire un beau jardin de légumes et de fleurs… Louise revoyait un à un les visages résignés des vieux paysans qui rentraient le soir tête basse à la maison. Ils avaient commencé l’arrosage mais l’eau avait été coupée avant qu’ils ne terminent, une partie de la récolte ne survivrait pas au cagnard du lendemain.
La bicoque toute biscornue de celui qu’on appelait le bagnard avait disparu, mais la maison de Mimi était debout, avec ses volets jaunes. Il ne restait plus qu’un clic pour faire virer l’image sur la gauche.
La maison d’Hugo et de Jeanne était là.
Louise avait eu si peur qu’elle ait disparu ou qu’elle ait trop changé, qu’elle en resta un moment bouche bée.
La large façade blanche et sobre, seulement ponctuée de persiennes peintes de gris clair s’épanouissait dans la verdure. Les jeunes arbres que Jeanne et Hugo avaient plantés sans trop y croire avaient prospéré en dépit de débuts improbables et les lauriers entourant le jardin étaient si hauts qu’ils en cachaient une partie au regard insatiable de Louise. La terre pauvre et le soleil avaient eu raison de la haie de rosiers anciens que Jeanne s’était obstinée à soigner pendant des années en dépit des conseils d’Adrien, le vieil Adrien qui fauchait l’herbe au petit matin, avec toutes les senteurs fraîches qui pénétraient, comme un parfum de bonheur paisible, dans la maison endormie.
« Dieu du ciel! Rien n’a bougé! Colin! Viens voir!… «
Colin était apparu dans la chambre, avec la brusquerie de ses 16 ans. Louise renonça à lui expliquer mais elle voulait savoir si ce jeune génie de l’informatique pourrait trouver le moyen de voir l’arrière de la maison.
Tu rigoles! avait-il répondu en disparaissant comme il était venu.
Bon, elle resterait sur sa faim, se contentant du devant, flanqué des vieux noyers qui semblaient se porter à merveille. Ha ces jeunes, maugréa t-elle en pianotant sur le clavier…
L’arrière de la maison comportait un escalier extérieur de tomettes rouges. Aucune raison pour qu’il ait disparu, pensa t-elle, puisque la bâtisse est construite à cheval sur une carrière, donnant ainsi deux étages habitables. Près des noyers, un vide s’était creusé sous la maison, un endroit sombre où se reposaient de petites bêtes que nul n’aurait dérangées. Louise pensait dans son bonheur limpide de petite fille, que ces recoins noirs et inquiétants abritaient également des choses qu’elle n’aurait su nommer, mais dont elle pressentait, dans la douceur de l’enfance le danger dormant, devinant les existences parallèles et incontournables de l’ombre et de la lumière.
Street view comme la mémoire sont des instantanés
parfois doux parfois douloureux …
Oui, mieux vaut parfois ne pas se retourner.
Tant que Google se contente de montrer les façades des rues, nos imaginaires résistent, un peu. Mais avec les drones, l’intrusion dans nos vies privées sera une règle constante, à 360° de visionnage. Il nous faut dès à présent planter des arbres de hautes futaies, qui masqueront nos habitats et connecteront les générations futures à l’essentiel : la vie sans caméras de surveillance. Pins parasols, par exemple…
Joli texte par ailleurs 😊
Je te vois déjà, bien planqué dans ta palombière en train de pointer ton fusil sur les drones 😉
Il y a 2/3 ans par hasard je me suis vue en ville, attendant sagement pour traverser que le passage piéton soit vert, c’est assez bizarre comme impression.
Cela me rappelle une chanson de G. Manset : (en relation quand même avec ton texte!)
C’est beau tout ces souvenirs même si le virtuel s’en mêle, j’ai apprécié ces moments de poésie traditionnelle dans un passé encore assez proche finalement.
Bonne fin de soirée Alamnito.
Tu as raison Christian, notre jeunesse, c’était hier, d’ailleurs nous sommes toujours jeunes 😉
Mais que te passe-t-il donc dans la tête pour écrire tout ça ? En tout cas, c’est plein de poésie et c’est très beau !
Bon dimanche Alma !
Merci Marla.
Pourquoi, ça te semble étrange de faire un tour dans le passé via street view?
Non, je trouve l’idée plutôt bonne ! 😉
L’émotion en virtuel, est-elle la même que dans la réalité ? That is the question…
C’est assez puissant quand même, surtout si le lieu t’a marquée pour diverses raisons, et comme on ne peut pas tout voir sur l’ordi, ça laisse le champ libre à l’imagination pour le reste.
Elle est belle cette balade virtuelle racontée comme ceci.
Et puis on est parfois émus de se rendre compte que des choses sont encore là. Il y a
quelques années en allant à Rouen les enfants sont allés voir l’ancienne propriété de mes grands-parents et ont vu que leur vieille maison était toujours debout, j’ai voulu voir avec google map, comme de fait, ça fait drôle. Mais comme toi je n’ai pas pu voir derrière la maison et comme toi c’est ce qui m’aurait intéressée. Je crois que dans notre enfance le côté arrière des maisons était particulier !!
Bien sûr, c’était à l’arrière que l’on vivait et que l’on jouait et en général c’était là que l’on plaçait le plus important: le jardin.
Allier une nostalgie poétique au « street view », je trouve l’idée excellente. Comme quoi, le virtuel a souvent du bon, n’en déplaise aux grincheux 😉 Si on ne se croise pas d’ici là, passe de bonnes fêtes Alma 🙂
Je suis persuadée des qualités du virtuel, tout dépend de ce qu’on en fait.
Pour toi aussi de bonnes fêtes Martine 🙂
J’aime aller sur Maps revisiter les lieux que j’ai connus ou lorsque je fais ma généalogie, me balader dans les rues de Paris ou d’autres villes pour voir les maisons où mes ancêtres ont vécu. C’est aussi émouvant que d’être sur place et observer tous les changements aux alentours.
J’adore ton texte, il me ressemble 😉
Ca, c’est sympa, contente que tu te retrouves dans ma balade virtuelle 🙂
C’est beau !… Ces maisons, dans lesquelles je n’ai jamais vécu, me font toujours rêver, quand je passe dans les rues. D’autres enfances que celles des immeubles anonymes…
Les enfances « de maisons » sont sans doute plus heureuses à cause ou plutôt grâces aux jardins qui sont des paradis de liberté et de découvertes pour les enfants. Tu te rattrapes maintenant avec ton joli jardin plein de vie 🙂
j’ai déjà « joué » à cet exercice de tenter de retrouver des traces d’un passé lointain et c’est assez surprenant, parfois en bien parfois c’est moins réconfortant…
Je ne sait pas si la démarche est bonne, même si on a d’heureuses surprises, est-il bon de se retourner sur le passé,
je ne sais pas…mais je n’y résiste pas!