Quelle ne fut la surprise de Philomène Pearl ce matin là, lorsqu’elle découvrit une chaussure d’homme gisant en plein milieu de son massif de zinnias en allant au bout du jardin chercher son journal dans la boite à lettres.
Armée d’un long bâton, elle souleva l’objet incongru qui écrasait ses fleurs, et l’expédia par- dessus la clôture en maugréant sur les moeurs incompréhensibles d’un monde qui permettaient qu’un citoyen lambda perdît assez le contrôle de sa personne pour oublier une chaussure en plein milieu d’un massif de zinnias qui ne lui appartenait pas.
Mais le pantalon de flanelle qu’elle trouva, roulé en boule dans sa voiturette électrique sagement garée dans l’allée gravillonnée de son pavillon, la plongea dans un abîme de perplexité quelques heures plus tard, alors qu’elle s’apprêtait à partir faire ses courses à l’épicerie du village. En prenant soin de ne pas y toucher, elle s’arrangea pour l’emballer dans un sac dont elle se débarrassa à la hâte dans la poubelle communautaire du quartier et fila, troublée, sur la route de campagne menant à la ville pour y faire ses achats.
Ce ne fut que dans la soirée que l’affaire commença à prendre un tour fort désagréable pour Philomène quand elle découvrit en rentrant, arrosoir en main, dans la serre consacrée à l’élevage d’orchidées rares, comme l’ étendard blanc du signal de la paix, un caleçon clair flottant en haut du manche en bois de la fourche du jardinier. Philomène considéra la chose avec stupeur un long moment car hormis ceux qu’elle voyait, enfant, sécher sur la corde à linge familiale, et qui avait appartenu à feu Archibald Pearl, son père, elle n’avait jamais eu l’occasion ni l’envie d’en voir d’autres, ni de près, ni de loin, de toute sa vie. Oubliant les fleurs assoiffées, elle en lâcha l’arrosoir sur ses chaussons duvetés de plumes roses et courut se réfugier chez elle en prenant soin de bien tourner la clef dans la serrure de sa porte. Après qu’elle eût prestement clos les volets, elle s’affala sur une chaise près de la table devant un thé fumant et deux cachets pour soutenir son coeur mis à l’épreuve.
Le lendemain, le très innocent vêtement qui avait écourté la nuit de Philomène rejoignit ses congénères dans la poubelle communale dès potron-minet.
Les jours suivants furent à nouveau ponctués de découvertes toutes aussi stupéfiantes et scandaleuses, chaussettes, chemise de popeline, cravate et veston de bonne facture furent jetés aux ordures comme le reste.
Philomène qui en avait quelque peu perdu le boire et le manger , songea que la tenue complète de cet étrange gentleman ayant été découverte et bannie définitivement de sa propriété, elle en avait fini avec cette histoire saugrenue et extrêmement choquante et que sa vie allait reprendre son cours paisible, faite de broderies, d’orchidées et de cup of tea indissociables de toute lady respectable.
Il n’en fut rien.
Alors qu’elle s’apprêtait à délicatement poser sur le haut de sa tête, un délicieux bibi orné d’une voilette incrustée de fringants papillons couleur mandarine devant sa psyché avant de sortir un beau matin, son geste fut arrêté net par la vision du pommier qu’elle aperçevait depuis sa fenêtre: une chemise à carreaux rouge pendait lamentablement à l’une des branches, alourdie par la rosée matinale. Philomène Pearl suffoqua et tomba raide dans sa chambre, foudroyée par une crise cardiaque, tandis que le petit chapeau mandarine s’en alla rouler piteux et cabossé sous le lit à baldaquin.
Il est fort regrettable que miss Philomène Pearl, si perturbée les derniers temps de sa vie, n’ait pris connaissance des nouvelles dans le journal local dont elle avait abandonné la lecture depuis ses fâcheuses aventures car elle y aurait appris que l’on venait de démasquer les galopins des quartiers voisins qui s’amusaient depuis quelques temps à chaparder les vêtements qu’ils trouvaient dans les jardins des environs, délaissés sur des dossiers de chaises ou séchant au grand air pour les redistribuer plus loin au gré de leur fantaisie.
Bonne rigolade à la lecture de ce texte biographique de Philomène Pearl…à rebours?😊
Ha ha ! J’ai mis quelques secondes avant de réagir 😉
Pauvre Philo morte sans avoir découvert le pot aux roses ! Mais est-ce que ça l’aurait fait rire ? Sûrement pas, et quand on n’a pas le sens de l’humour, forcément on meurt d’une crise cardiaque ! CQFD
😉 Tu es encore plus expéditive que moi !
Curieuse de connaître le fin mot de l’histoire, j’ai presque couru derrière les mots. 🙂
Joliment tourné en tout cas !
Merci Laurence, tu m’as fait peur j’ai cru que tu courais après le mystérieux bonhomme 😉
C’est ballot ! elle a trépassé pour rien, pôv !!!
C’est le cas de tout le monde 😉
😉 Clin d’œil vous l’imaginez, je n’ai toujours pas trouvé comment vous l’adresser en « figurine ». Voilà ce qui arrive à ceux qui vivent dans un coin isolé et ne risquent pas de trouver une chemise à carreaux accrochée à son althéa… Joliment écrit, le verbe et les mots dansants… J’ai tout vu, j’y étais, derrière le pommier, j’aime les pommiers 🙂 (sourire, je suis condamné à commenter mes signes))
Eh ben, je me suis gourré, les figurines sont apparues alors que dans un autre blog, non. Encore un signe de l’isolement 🙂
Ha oui, c’est la même chose pour moi chez vous, en effet sur certains blogs le signes ne se transforment pas. Merci d’avoir fait le voyage 😉
Le crime parfait ! Génial ! Je dois te laisser, c’est urgent ! Je dois aller voir voir mon ex belle mère j’ai quelques très généreux dons à lui faire et je ne veux perdre aucune minute……
Ha ha ha! Vas-y je te couvre 😉