L’endroit bleu

C’est un endroit bleu, battu par les vents, entre deux bras de rochers rouillés couchés dans la mer. On y accède  par une route en lacets taillée dans une colline dorée de genêts en crapahutant d’ornières en ornières. Aux rares passages de voitures, de petits veaux tendent leurs museaux tout roses par dessus de courtes haies de lentisques tandis que des chevaux savourent la vie sauvage dans les champs d’asphodèles.

De loin, on aperçoit déjà le golfe, qui disparait dans un tournant pour pour mieux réapparaître, plus net, plus soyeux, au suivant.

Un petit sentier entre les ronces de mûriers, prolongé d’une pinède fouettée par les brises et n’excédant pas une hauteur d’homme, s’ouvre sur la liberté. Une étendue d’eau infinie, seulement limitée par l’horizon, se décline en saphir troué de flaques turquoises ou en indigo profond scintillant d’étoiles métalliques pour se fondre, là-bas, au bout du monde, dans un ciel ouaté.
On enfonce ses pieds dans un sable blanc pailleté de mica, si fin qu’il colle à la peau. . Au large, l’eau se soulève comme une grosse bête inquiétante et sombre, gronde et arrive par gros wagons de rouleaux successifs écumants de blanche colère pour,  achevée sa course, déposer  sur le sable de tendres dentelles roses effilochées de poussière corallienne.

Plus haut, vers les terres, des monticules de bois flotté dorment, biscornus, torturés, squelettes de forêts d’outre mer aux légendes perdues, blanchis de sel et de soleil, cadeaux de rivages étrangers qui finissent, là,  leur voyage sur un tapis de minuscules vélelles séchées d’un bleu translucide.
Un cordon d’herbe folles, crinières de hordes blondes défiant vents et barrières borde la montagne d’un anthracite dur en surplomb. Comme une réponse aux flancs obscurs, se détache, bien plus haut, l’ombre de sommets plus acérés égarés dans la brume et l’on  rêve alors d’antiques châteaux inaccessibles.
Soudain, au large, un lac limpide entrouvre les nuages tandis que le ciel se noircit au-dessus de la plage déserte ou presque: un jeune dieu de la mer au teint de pain d’épices sort de l’eau avec sa planche, fourbu mais heureux, ébrouant des étoiles  autour de lui.

19 réflexions au sujet de « L’endroit bleu »

  1. Dominique

    Tu es en verve Alma ! tes descriptions sont très belles, avec elles seules on pourrait peindre un tableau !
    [… un jeune dieu de la mer au teint de pain d’épices sort de l’eau avec sa planche, fourbu mais heureux, ébrouant des étoiles autour de lui…] il aurait pu tenir un trident avec un poisson au bout, le dieu de la mer ! 😉
    Je rigole, c’est un superbe paysage que tu nous a dessiné là !

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      1. Dominique

        Je connais bien, mais quand j’y allais il n’y avait encore RIEN, seule cette route qui serpentait jusqu’en bas vers la plage… et le désert ! Ce sont mes premiers coups de soleil sur le derrière, un brûlant souvenir 😀 !!!

    1. Dominique

      J’y étais retournée il y a quelques années (une 20-taine) mais il y avait un truc là bas si je me souviens bien, genre cabanon et bien plus de monde qui allait en venait… serait-ce retombé dans l’oubli depuis ???

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  2. Frog

    Ton texte est si beau, Alma. Ce n’est pas un endroit, mais le seul endroit où l’on voudrait aller. Il me semble qu’être là, c’est presque ne plus être.

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    1. almanito Auteur de l’article

      Merci Frog, c’est gentil d’autant plus que je peine à écrire dans ce registre;)
      C’est un endroit sauvage où je vais me ressourcer lorsqu’il est désert et battu par les vents en hiver, on s’y sent en dehors du temps, ce sont des heures à part. Infréquentable en été par contre!

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