11 novembre, 9 heures du matin.
Le quartier engourdi sort de sa torpeur au clairon insistant et rageur d’un avertisseur sonore. Des visages encore ensommeillés, cheveux en bataille pointent aux fenêtres pour s’assurer que c’est bien toujours le même qui offre son concert des jours fériés et des dimanches. Oui, c’est bien lui : pépère en personne, celui qui, par méfiance, range toujours sa belle automobile gris métallisé devant sa porte dans la ruelle sans issue afin que rien de mal ne lui arrive. Pépère, sûr de son bon droit car il est né dans cette rue il y a … ouf, oui,… au moins, ne digère toujours pas que des « étrangers » : ceux qui habitent le quartier mais ne sont pas natifs précisément de sa rue, aient le culot de se garer dans son impasse. Alors, chaque dimanche et jours de fêtes, pépère fait sa crise dans sa chemise bien repassée des grands jours car pépère ne sort carrosse et liquette blanche que pour les grandes occasions.
Planté dans la cour, il scrute les volets qui se referment sans bruit pour y débusquer les coupables. Qui a encore osé se garer derrière lui? Trois voitures l’empêchent de reculer et trois autres sur le côté lui interdisent la moindre manoeuvre. Pris au piège, pépère coincé éructe, jure, s’emplit d’amères rancunes qui lui jaunissent le teint.
Pépère cherche à prendre quelqu’un à témoin de sa déveine hebdomadaire, quelqu’un qui va rouspéter et s’indigner à l’unisson en sa compagnie et compatir à ses malheurs. Mauvaise pioche, c’est moi qui passe à ce moment là et il vient de se souvenir que deux heures auparavant, nous avons eu des mots, lui et moi, lorsqu’il a chassé à coup de pieds le jeune en galère qui dormait sur le seuil de ma porte, et à qui, « connasse » que je suis, j’ai offert un café et un croissant. Pas de chance. Mais voici qu’apparait, tout frais sorti du lit, un jeune malabar, hirsute et brun de poil, venu gentiment reculer son véhicule. Pépère qui jusqu’alors a contenu sa colère lui tombe dessus en l’insultant. Pépère sait qu’on l’observe derrière les jalousies, il fait le brave, il fait son numéro de kéké. Le costaud réplique en ravalant son sourire, le ton monte et pépère tombe la veste pour montrer du poing, sachant très bien que l’autre ne le frappera pas. « Viens te battre petit con » fait- il au garçon qui rigole devant ce coq quelque peu déplumé. Traînant savate, un petit groupe de personnes arrive sans se presser, clefs en main pour dégager leurs voitures Mais pas tout de suite. Un peu de tchatche, avant. Pour se moquer, un peu, pour bien commencer la journée, pour se venger aussi d’avoir été réveillé par le vacarme du « natif de la rue ». Discute, éclats de voix, gesticulations, mains qui parlent, rigolade, noms d’oiseaux, coups de gueules……
« Et où tu vas pépère, ce matin, que tu as l’air bien pressé, y a pas messe, ce matin?! »
« Où je vais? Ah! C’est sûr qu’on vous y verra pas, vous autres, là où je vais: je vais à la Commémoration de l’Armistice, moi, Môssieur! Je fais mon devoir, moâ!!! »
« Tu vas à l’armistice???!!! Bé, alors, pourquoi tu commences pas par nous la faire ici, ton armistice, ho! »…
Même jour, 10 heures 25, les moteurs démarrent, on laisse passer pépère qui va enfin pouvoir se rendre à la célébration de ce beau jour de paix.
pour avoir droit à l’armistice, faut bien supporter un peu de guerre avant…. 🙂
Ha ha, très juste 🙂
ou partir au 11 novembre avec son drapeau en berne…
Brassens adorerait 🙂
Moustache en croc moral en berne
il portait comme une médaille
d’avoir perdu trois guerres mondiales
à lui tout seul, Pépère.
Entre la messe et l’armistice
il rageait contre le père le fils
l’aurait vidé le paradis
à lui tout seul, Pépère
traitait tout le monde de tout les noms
et il râlait contre tout le monde
sauf contre lui, crénom de nom.
etc…
bon, ok, je suis pas Georges B, hein !)
On s’y tromperait! Merci Carnets 🙂
C’est Pépère qu’il faut remercier 🙂 🙂 !
Réjouissant ! Merci beaucoup.
Merci Gabrielle, un peu de légèreté…
Drôle et si réaliste ton Pépère. Son ridicule est touchant.
Il viendrait à disparaître qu’il nous manquerait 🙂