Le petit singe vert

Au fond de lui, il avait toujours rêvé d’écrire, je crois.
A la fin de sa vie, cantonné dans une chambre de malade située en étage qui lui interdisait l’accès au jardin, privé de visites et d’activités, il s’attabla devant une feuille blanche et un stylo.
Il racontait. Timidement au début, il s’excusait presque. La lettre qui comportait une dizaine de feuillets recto/verso commençait souvent un samedi pour se terminer d’un mot affectueux le mardi, serrée, dense et compacte, couverte de sa petite écriture penchée et tremblante difficile à déchiffrer:
« Ne fais pas attention à l’écriture et à l’orthographe douteuse, il y a si longtemps que je n’ai pas écrit. En outre j’ai beaucoup oublié de la grammaire que j’avais pourtant étudiée (ré) au début de ma retraite il y a déjà neuf ans écoulés. De plus ma respiration saccadée n’arrange rien… »

Il évoquait sa jeunesse dans une famille d’ouvriers du Nord, bâclait le portrait de sa mère qui ne lui pardonna jamais un accouchement difficile et ce bras légèrement abimé qui le complexa durant toute son enfance et sa vie de jeune homme, parlait avec admiration de son père et de Paul, son frère aîné, admiré de tous car il savait tout faire de ses dix doigts, alors que lui, si malhabile, se réfugiait dans  la nature et la rêverie que nourrissait ses lectures passionnées.


« Paul partait toujours en premier et je suivais, nous longions le petit bois ombragé jusqu’à l’étang où nous nous baignions l’été. Papa n’avait pas les moyens mais il avait réussi à nous acheter des vélos. A l’époque, rares étaient les enfants dans les environs qui en possédaient et nous nous considérions comme de grands privilégiés… »

Il y eut plusieurs lettres, remplies des plus beaux souvenirs de l’enfance, la mer du Nord dans sa brume nostalgique et ses doux dégradés de gris, de bleu, de vert dont il tomba définitivement amoureux à la première seconde qu’il la découvrit, le souffle court et les jambes vacillantes, le grand-père coco qui commentait le journal en  chti et lui fit boire son premier verre de vin, un bon gros rouge qui tenait au corps et rendait joyeux tout en cassant les mollets mais dont il fut également émerveillé. Puis l’exode, l’abandon de la maison qu’on ne reverrait peut-être jamais, et la Bretagne, son second grand amour qui demeura son refuge tout le long de sa vie.
« Je ne t’ennuie pas avec toutes mes histoires? »
Non, j’aimais le lire et je le lui disais, malgré la lecture difficile. Je savais ses pudeurs et ses non-dits, je devinais bien plus qu’il n’écrivait.
Dans sa dernière lettre, il parlait de la solitude et de l’attente. De ses minuscules attentes dans sa vie de plus en plus restreinte. C’était si simple et touchant:

« J’attends qu’Arlette m’apporte mon petit déjeuner: trois tranches de brioche et de la chicorée avec du lait chaud. C’est bon. Je suis assis devant la fenêtre et je la vois dans le jardin. Elle commence toujours par sortir les fox quand elle arrive, pour éviter les dégâts. Je les vois jouer dans l’herbe et ça aussi c’est bon.
J’ai encore envie d’écrire, l’écriture,  ça fait passer l’angoisse. Je radote et tu es patiente… »

Ce jour-là, il avait joint une carte venant d’une exposition d’objets d’art au Louvre. Un petit singe vert en biscuit, assis si seul, si triste. La tête penchée sur ses mains qui serraient sans doute un fruit doré ressemblant furieusement à un morceau.. de brioche.

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