Elle avait beaucoup insisté, mon amie Madame S., m’avait cousu de fil blanc toute une légende: « pauvre petite bête trouvée dans le maquis, si craquante… »
Non, bien sûr, elle, Madame S., ne pouvait pas la prendre, pour un tas de bonnes raisons et d’ailleurs, c’était une évidence: » ça manquait de chat chez moi ». Deux chiens et pas de chat? Quel hérésie! Quelqu’un a dit que l’être humain pour son équilibre a besoin d’un chien pour lui dire combien il est beau, fort et intelligent et d’un chat pour lui faire comprendre exactement le contraire. Le croirez-vous? Il s’avère que le chat est plus convainquant que le chien…
Quoi qu’il en soit, c’était vrai, la chose était très mignonne et si petite qu’elle tenait dans la main. D’un commun accord, nous l’appelâmes Albert, prénom flatteur que portaient Einstein et mon grand-père ainsi qu’un tas de gens très bien, auquel nous rajoutâmes madame lorsqu’Albert le chat se révéla être une femelle.
Cocteau préférait les chats aux chiens car » il n’existe pas de chat policier ».
Erreur. Madame Albert, dès les premiers jours, organisa l’occupation des sols à sa façon, annexa à sa guise les meilleurs coussins, confisqua les balles et affirma son autorité à coups de baffes sur les truffes innocentes des chiens béats d’admiration. Sa caisse de litière s’y trouvant, l’accès de la salle de bain leur fut interdit, de même que l’approche de la table aux heures des repas. Il lui suffisait d’un regard pour que les deux nigauds obtempèrent. J’admirais cette autorité naturelle si efficace que jamais je n’avais obtenue en plusieurs années de patiente éducation toute en douceur. Elle organisa sa vie en introduisant la zizanie dans la mienne, la liste de ses exactions remplirait un blog. Je me demandais parfois, s’il n’y avait pas un mode de communication télépathique entre Madame S., volontiers facétieuse à ses heures, et cette créature en perpétuelle effervescence, mais l’une et l’autre m’affirmant le contraire avec véhémence, je ne peux que les croire…
J’avais imaginé qu’au fil des ans, le tempérament fougueux de cette diablesse, j’ose le mot car il faut appeler un chat un chat, n’est ce pas, allait s’adoucir et qu’enfin, je la verrais un jour venir se blottir contre moi, les yeux mi-clos en ronronnant gentiment.
Je songeais à Colette, à Léautaud, à Brassens, je rêvais d’un chat d’écrivain. Que nenni, madame Albert se fout éperdument de mes notes, envoie ma gomme rebondir sur le sol et grignote mes crayons, se cache sous mes feuilles de papier, me renvoyant par sa conduite cruelle et insolente à la triste vérité…
J’ai bien compris, allez, jamais elle n’acceptera de m’aider, de m’inspirer quelques belles envolées romantiques en prenant la pose, mystique, au coin de la fenêtre sous un clair de lune d’été. Non, madame Albert n’est pas une contemplative, madame Albert fait dans le concret, le palpable, le tangible et ne vous y trompez pas, si d’aventure un jour vous l’entendez ronronner, proche de l’extase, c’est qu’elle mange!
J’en connais un autre qui n’en fait qu’à sa tête, et avec mes feuilles et avec le chien 😉
Que de plaisir à vous lire !
Merci Marlabis, nous ne sommes que de pauvres esclaves entre… leurs griffes!
Un récit très vivant. Quand je te lis j’ai très souvent des images qui me viennent. Aujourd’hui, j’ai pensé au chat de Franquin dans Gaston Lagaffe dont je suis fan 🙂
Merci Alma pour le sourire qui a accompagné ma lecture.
Merci pour le sourire, Laurence, et je suis fan aussi de Gaston Lagaffe 😉
Hé bien mes très chères Zamies du web, faites comme moi dans un de mes précédent articles, offrez-leurs carrément un chalet pour qu’ils y fassent leurs quatre volontés à souhait et vous vivrez d’une paix sereine …
Toute mes Zamitiés et bonne soirée.
Oui Christian, j’ai vu ton chalet princier consacré au bienêtre de tes amis 🙂 En ville ce n’est pas possible mais j’ai une amie qui installé des sortes de boîtes en plein maquis avec nourriture à disposition. L’endroit est tenu secret d’ailleurs pour que ces chats partiellement sauvages ne soient perturbés par les curieux ou les malfaisants.
Excellent ! Les phrases rebondissent sur leurs pattes de velours, et le lecteur a la tête qui tourne à essayer de suivre les circonvolutions félines ! Chez moi ça ne manque pas de chats, grâce aux bêtes du voisinage qui se moquent pas mal de mes efforts pour leur interdire mon jardin. 😉
Ha ha ha! 🙂 Les chats ont le goût de l’interdit, cela fait partie de leur charme 😉
Merci Frog.
Le beau portrait et un bon éclat de rire à la fin ;o)
Merci madame Almanito ( il y a là une certaine filiation ou je me trompe)
Tu te trompes évidemment! 😉
Merci Annick