Le Premier Jour

‌‌La veille un ciel houleux avait déstructuré la ligne des montagnes de l’autre côté du golfe puis la brume s’était étendue sur les collines plus bas, noyant les ocres rutilants roses et jaunes des maisons dans une nappe d’un bleu opaque.
Dans la nuit, Il y avait enfin eu cette colère brutale du vent qui avait tapé contre les façades, avide et jaloux des vieux murs qu’il tentait d’ébouler à coups de cornes de bête furieuse.
Des croisées avaient cédé, on avait reconnu le son faux du verre se brisant sur le sol et on avait tenté en vain  de le localiser, mais qu’importe, dans ces quartiers de maisons hautes et de voûtes sombres, les rues étroites mènent l’écho dans les recoins d’ombre aussi bien qu’à la lumière vacillante des réverbères. Et puis ici, il se trouve  encore un peu,  que lorsqu’un côté est touché, tout le monde en prend sa part.
Alors on reste dans la moiteur des draps en attendant le retour du calme.
La bête s’était assagie d’un coup, avait tourné autour du port, brusqué les vieux pointus fatigués puis s’était évadée vers le large.
Au matin on retardait le moment de se lever. Dans le  quartier figé, les hommes ouvraient un oeil puis tentaient de se rendormir et d’étouffer le vague soupçon de culpabilité qui semblait épaissir encore l’air moite des habitations car l’être humain est ainsi, qui s’imagine toujours avoir  mérité on ne sait quelle punition divine. Mais tout violent fût-il, l’épisode avait été trop rapide. Il eût fallu du tonnerre, plus longtemps, plus fort, plus rageur, du vent destructeur et des trombes d’eau pour tout laver et faire renaître le Premier Jour.
Chacun y pensait, même confusément, au fond de son lit.
Rien ne bougeait. Hommes et animaux en points de suspension,  même le couple de pigeons installé dans l’alcôve d’une fenêtre condamnée de la maison voisine lorgnait, hésitant encore,  la poignée de lentilles offerte sur la margelle, à deux battements d’ailes.
Il fallut se lever, faire rentrer l’air alourdi d’humidité dans les maisons en se donnant l’illusion de la fraîcheur.
Le linge qui séchait la veille sur les fils tendus au-dessus des strettes avait endimanché les antennes télé et les plus hautes branches d’un platane. Il allait falloir le récupérer, ainsi que les lattes des persiennes qui avaient sauté sous le souffle du vent.
Déjà les vitres brisées cliquetaient contre les pelles des balayeurs ensuqués de sommeil, les klaxons et les engueulades reprenaient leur concert sur le boulevard plus bas et les radios braillaient leurs chansons ineptes.
Le Premier Jour disions-nous…

10 réflexions au sujet de « Le Premier Jour »

  1. Christian

    Évoquée avec finesse cette histoire raconte bien cette rage de vouloir tout détruire sur son passage. Seuls les habitants se sentent si bien au chaud pendant que tout gronde au dehors. Je me sens encore imprégné d’un tel récit qu’il ne m’est guère possible de mettre un mot, tant il est prenant et me fais penser à ces nuits pluvieuses que nous avions dans notre enfance, enfouis sous les draps, les couvertures remontées jusqu’aux oreilles, laissant juste un tout petit passage pour écouter la pluie tomber avec fracas.
    Je te remercie Almanito pour ce merveilleux récit. Amitiés.

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  2. Frog

    J’aime ce beau texte, cette tempête qui fait faire le dos rond aux hommes, le regard amusé que tu poses sur eux et leurs craintes obscures, et je n’ai plus entendu le mot « ensuqué » depuis si longtemps que je me fais une joie de le retrouver ici ! Qu’est-ce que c’est que les strettes ?

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  3. almanito Auteur de l’article

    Merci Frog.
    Ha oui, ensuqué, c’est à Marseille et la strette est un peu plus bas en Corse pour désigner une rue. Il reste encore quelques plaques de rues ainsi libellées dans les vieux quartiers, traces de la vie passée: « strette di a Funtana d’aostu », la fontaine hélas a disparu depuis belles lurettes mais ça reste charmant 🙂

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    1. almanito Auteur de l’article

      Merci Laurence, pour le commentaire et le lien. Je ne connaissais pas ce tableau, le site est très beau. En effet on peut penser à ce paysage et même pourquoi pas y voir un olivier!

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      1. walachniewicz

        Oufti, non peut-être ! Et on n’a pas le dikke nek (traduisez: on se prend pas au sérieux) Mais ça c’est pour Bruxelles. Je suis née en Wallonie î dj’î su fîr d’iesse wallon’ ;o)

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