Au n°3

Aimez-moi! Aimez-moi!
Le type hurlait depuis un bon moment. Au début on pensait qu’il s’adressait à une nana après une rupture,  mais non, c’était bien « aimez-moi » que ce type gueulait d’une voix  qui ne faiblissait pas. Tellement insistant,  rauque et impudique que ça en devenait obscène.
Ca s’adressait à nous, passants d’un soir dans une rue vernissée de pluie avec les flaques  de lumière bleues et jaunes des néons et des phares.
Il implorait, la gueule grande ouverte sur des sanglots,  bras tendus, mains ouvertes et nous évitions son regard qui accusait on ne savait ni qui ni pourquoi mais on se sentait bizarrement concernés.
Puis il s’était adossé à un mur et s’était lentement avachi sur le trottoir comme un pantin dont on lâche les fils. Il pleurait bruyamment en poursuivant sa litanie dont le rythme et le ton s’assourdissait, regardez-moi, aimez-moi!. Musique blanche à peine ponctuée qui s’endort pour mieux reprendre, peut-être…
En même temps que la voix le temps et les gestes semblaient ralentir. Les gens s’étaient arrêtés mais sans se regrouper, comme si soudain la bande du film s’était cassée et que l’image restait fixe sans rien laisser deviner de la suite. Personne n’avait appelé les flics, le type se calmait mais on restait là. Troublés, inquiets.
Soudain il s’était relevé en ébrouant sa tignasse. Des gouttes d’eau avaient étincelé  autour de lui et sa silhouette bancale d’ogre noir était rentrée au numéro 3. 
Les passants étaient encore restés là un long moment, comme pétrifiés sous la pluie puis le film avait repris, avec ses bruits de ville, le chuintement des pneus sur la chaussée mouillée, le grésillement des néons et les rideaux de fers qu’on baisse brutalement.


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